Les astrolabes

L’Astrolabe attribué à Georg Peuerbach (1461) exposé au musée national germanique de Nuremberg(Photo Éric Mercier)

Un astrolabe est, comme un cadran solaire, un « instrument de mesure du temps par les astres ». C’est un instrument fascinant, auréolé de mystères, mais pourtant construit avec une rigueur toute scientifique. Il fut inventé dans la Grèce antique, sans doute vers le IIe siècle avant notre ère, puis fut perfectionné dans la civilisation arabo-musulmane avant de passer dans l’occident chrétien vers le Xe ou XIe siècle.

Une des principales fonctions de l’astrolabe est de donner l’heure la nuit, mais il s’agit en fait d’un véritable petit « ordinateur analogique » qui a de très nombreuses autres fonctions (certains traités du Moyen Âge en énumèrent plus de 100). Dans les lignes qui suivent nous nous intéresserons essentiellement à sa fonction gnomonique (indiquer l’heure) et nous nous limiterons à l’astrolabe le plus classique : l’astrolabe planisphérique.

Bases théoriques et principe général de l’astrolabe planisphérique.

Quand on regarde le ciel nocturne vers le nord, on constate, au bout de quelques dizaines de minutes, que les étoiles tournent autour d’un point fixe assimilable à l’étoile polaire. Ce point fixe est à une hauteur angulaire au-dessus de l’horizon, qui correspond à la latitude du lieu de l’observation. Une idée s’impose alors : utiliser la position d’une étoile facilement reconnaissable pour déterminer l’heure ; c’est sans doute comme cela qu’est née l’idée de l’astrolabe. Mais très vite, on se rend compte, en revenant nuit après nuit au même point d’observation, que l’image du ciel change et qu’au bout de quelques jours notre étoile n’est plus à la même place à une heure donnée.

Une autre constatation que l’on peut faire, au crépuscule et à l’aube, est que le Soleil se couche et se lève à proximité des mêmes étoiles. A l’échelle de la journée, le Soleil ne se déplace donc que très peu sur le fond étoilé mobile (on peut même le considérer comme fixe par rapport à ce fond). Par contre au cours de l’année, il va parcourir un chemin (l’écliptique) qui traverse une à une les constellations du zodiaque.

A un moment donné, chaque astre que nous venons d’évoquer (étoiles ou le Soleil) peut-être caractérisé par un azimut, mais surtout, et c’est ce qui va nous intéresser, par une hauteur au-dessus de l’horizon. Comme le centre de rotation du ciel étoilé n’est pas au zénith du lieu (sauf aux pôles), les hauteurs des astres varient au cours du temps. C’est ce phénomène que nous allons utiliser dans ce qui va suivre.

Une fois que l’on a rappelé ces éléments qui concernent le ciel (sphère céleste) et le lieu d’observation (sphère locale), on peut esquisser le principe de l’astrolabe planisphérique. Il va s’agir de réaliser une représentation à plat (en 2D) des deux sphères et les faire tourner l’une par rapport à l’autre de telle sorte que les relations observables dans la nature soient également observables sur l’instrument. Pour cela, on va réaliser successivement la projection, sur le plan de l’équateur céleste, du ciel et du lieu d’observation. Notons qu’à ce stade, le point de projection peut être choisi n’importe où sur l’axe nord-sud. Mais il se trouve que si l’on choisit le pôle Sud (« projection stéréographique »), on bénéficie d’une propriété remarquable qui est que la projection d’un cercle est un cercle.

Principe de la projection stéréographique appliqué à la voûte céleste
(Illustration Éric Mercier d’après Gibbs & Saliba 1984, modifié et complété)

Comme nous n’avons que des cercles (horizon local, lignes d’azimut, écliptique ..) et des points (étoiles) à projeter, le dessin de la projection se trouve grandement simplifié si l’on choisit ce point de projection, nous n’aurons que des cercles et des points à dessiner.

Un astrolabe planisphérique est dès lors constitué logiquement de plusieurs parties, dont les principales sont :

  • la mère : c’est une sorte de boite très plate dans laquelle vont venir s’insérer les tympans. Au centre, un trou permet de faire passer un axe autour duquel tournera l’araignée qui représente le ciel. A l’arrière de la mère, on trouve un dispositif de visée permettant de connaître la hauteur d’un astre au-dessus de l’horizon : c’est l’alidade.
  • les tympans, comme on peut souhaiter utiliser son astrolabe sous différentes latitudes, il est utile de disposer de différents tympans qui correspondent à la projection d’autant de repères locaux différents. Ils sont stockés dans la mère et seul celui qui est utile est visible.
  • l’araignée (ou rète), est une pièce très ouvragée et fortement évidée qui localise les étoiles, par des pointeurs, et l’écliptique.

Comment déterminer l’heure, la nuit, à l’aide d’un astrolabe planisphérique

L’heure dont il sera question ici est, bien sûr, une heure « solaire » (journée divisée en 24 heures égales, midi et minuit correspondant au passage du Soleil sur le méridien local). Pour connaître l’heure on suivra la procédure suivante :

  • repérer dans le ciel une étoile qui est représentée sur l’araignée,
  • déterminer si, dans sa course nocturne, elle a dépassé ou non le méridien local (elle est dans la moitié ouest ou est du ciel),
  • mesurer sa hauteur grâce à l’alidade, l’astrolabe étant pendu par son anneau et la tranche orientée vers l’étoile,
  • sur l’astrolabe en position horizontale et muni du tympan correct, faire tourner l’araignée jusqu’à ce que le pointeur de l’étoile soit dans la bonne moitié du ciel, et superposé à l’almucantarat (grille des hauteurs mesurées par rapport à l’horizon local) correspondant à la hauteur mesurée,
  • à ce moment-là, on a sur l’astrolabe la représentation de l’état du ciel. On peut alors repérer la position du Soleil sur l’écliptique en fonction de la date du jour,
  • comme le Soleil tourne (ou plutôt donne l’impression de tourner) autour de la Terre en 24h parallèlement à l’horizon céleste (qui lui-même est parallèle au bord de l’astrolabe), la distance angulaire mesurée, sur ce bord, entre le nord et la position du Soleil en comptant dans le sens des aiguilles d’une montre, nous donne l’heure ; il suffit de diviser l’angle par 15 (distance angulaire parcourue par le Soleil en une heure : 360/24=15). La lecture de l’angle est facilitée par le fait que le bord de l’astrolabe est généralement gradué directement en heure (sur la mère) ; de plus, une petite réglette (ostensor), visible au-dessus de l’araignée, permet, en s’alignant sur la position de Soleil, de lire au mieux l’heure sur la bordure.